Prologue :

Je me lève. Je suis parée pour une nouvelle journée d'école. Je chasse quelque chats que le soleil n'a pas réveillés. Je dors dans les rues depuis toujours. Le matin, pour moi, est rapide. Je me lève et je pars à l'école. Point. Comme d'habitude, je vois s'approcher le groupe d'humains, nains et elfe, que j'appelle le groupe de truands. Ils sont sept. Quatre humains, Catherine, George, Amy et Antoine ; deux nains, Oscar et Traubon ; un elfe, Elwyll.

- Alors, démone ? m'apostrophe Catherine. T'as mangé quoi, ce matin ? Du rat ? À moins que ça ne soit trop luxueux pour toi !
- Je ne mange jamais de rat, les pauvres, grommelai-je.
- Oh, la petite Ea veut se faire bien voir par les végétariens, fait Elwyll, sarcastique.
- Ne m'appelle pas Ea ! protestais-je.
- C'est pourtant ton nom, assura Traubon.
- Pas du tout, répliquai-je.
- Ah ? fit Traubon, hésitant. Bah, euh, tu... je sais pas, moi...

Il se tourna vers Oscar, la brute de la bande. Heureusement pour moi, le gong retentit dans la cour. Je suis la seule tieffeline de mon école. Il existe trois types de personnes, ici : les personnes qui ont peur de moi parce que je suis une tieffeline ; les personnes qui m'ignorent totalement ; et les personnes qui me harcèlent. Même les profs appartiennent chacun à une de ces catégories.

La journée de cours commence très mal. Tout d'abord, la professeure d’Éducation Relationnelle Entre Races (ERER), qui est une humaine pure souche, arrive en classe couverte de pustules d'un bleu vif.

- QUI a fait ça ? rugit-elle en pointant son doigt sur son visage.

Antoine et George échangent quelques mots avant de pouffer de rire. Ils n'ont apparemment pas remarqué la proffe qui s'approche d'eux.

- Vous avez une idée, jeunes hommes ?
- Kkkrrmffoui, vos parents, répond insolemment Antoine, en tentant de se retenir de rire.

Il y a un instant de silence, puis :

- Vous viendrez me voir après le cours, Antoine. Quelqu'un d'autre a une idée sérieuse ?

Je croise le regard d'Elwyll. Je comprends ce qu'il s'apprête à faire au moment où il lève la main.

- Oui, Elwyll ?
- C'est Ea, madame.

°°°°°°°0°°

Je suis partie. Je traîne désormais sur la colline à environ un kilomètre derrière l'école. Madame Delaforge, la proffe d'ERER, m'a donné vingt coups de bâton sur les doigts, suite à la fausse dénonciation d'Elwyll. Madame Jdibzunvonfej, une gnome proffe d’Éducation Physique, m'a fait faire trois fois le tour de l'école avec ma queue collée dans mon dos parce que j'étais arrivée largement en avance à la course et qu'elle me soupçonnait d'avoir triché. Mademoiselle Auwylav, elfe, proffe d'Histoires des Races, a autorisé la classe à marcher sur ma queue parce que je lui avait demandé pourquoi elle ne parlait pas de l'histoire des tieffelins. Et monsieur Zyflaw n'a pas cessé de me critiquer du cours (c'est un elfe haut, si ça peut aider certains à comprendre son comportement).

Bref, après quatre heures de cours épuisantes, je fuis l'école et mes harceleurs. J'ai mal au doigts, à la queue, mais surtout au cœur. J'ai envie de vomir, mais une boule coincée dans ma gorge m'en empêche. Pourquoi m'en veulent-ils tous autant ? Je ne leur ait rien fait ! Même les profs me discriminent ! Et mes parents ? Pourquoi m'ont-ils abandonnée ? Je fais demi-tour et cours vers la ville. Je rentre en trombe dans une taverne dont l'écriteau indique « Au gros Buveur ». La pièce est presque déserte. Le tavernier me connaît bien. Il est occupé à nettoyer des verres. Il lève les yeux, étonné, quand il s'aperçoit que je suis là.

- Dis, tavernier, fais-je. Tu me donnes un verre ?
- Ea ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? Tu es venue faire des câlins à mes rares clients ? Tu n'es pas à l'école ?
- Donne-moi un verre, s'il-te-plaît...
- Tu as de l'argent ?
- Non, mais...
- Alors non.
- Bon, tant pis.

Je fais mine de m'en aller.

- Attends ! Ça ne va pas ? Tu n'insistes jamais aussi peu, d'habitude ! Viens, explique-moi.

Je reviens vers le bar et lui explique mes mésaventures.

- Ma pauvre, fait-il, son visage de nain décomposé. Tiens.
- Merci, dis-je en prenant la chope de bière pleine qu'il me tend.

J'avale tout son contenu cul sec.

- Eh bé, toi tu vas vraiment pas bien. T'es pas obligée d'y retourner, tu sais.
- Y faut ben que j'm'instruise !
- J'ai du mal à croire que la p'tite dame qui fait des câlins à tous mes clients soit aussi malheureuse.
- Ben tu vois, fais-je, ivre. Allez, j'y r'tourne.  Quoiqu'en fait, j’me verrais bien faire une 'tite siesde.

Je m'en vais en zigzaguant légèrement. Je retourne sur la colline derrière l'école, et je marche même bien plus loin. Quand le ciel se colore d'un rose orangé, je m'arrête et m'assois sur un rocher. Je joue avec les cailloux qui jonchent le sol. Parmi eux, je vois un reflet doré. Une pièce ? Je fouille les cailloux avant de tomber sur une pierre moussue. Je l'approche de mes yeux pour mieux la voir. Il y a une espèce de rune gravée dessus. Soudain, la pierre m'échappe des mains et saute à ma figure. Je la vois s'approcher à une vitesse fulgurante de mon front. Puis plus rien.