Lorsque je rejoint le club d'entraînement, Luff et Kohort se battent tous deux contre les frère et sœur Wyrd. Les deux équipes se contiennent tant bien que mal, et je me demande depuis quand le combat dure. Une idée me traverse l'esprit et je me mets à bombarder le combat de petites branches tombées à terre. Tous les évitent, mais je vois qu'ils commencent à peiner dans leur combat. Quelques minutes plus tard, Kohort, pourtant pas en danger, se précipite vers une branche que j'ai lancée. Personne n'a le temps de comprendre à part Lucas qui profite de l'occasion pour poser le plat de sa lame sur le cou du nain.

- Attends... tu ne l'as pas fait exprès, quand même ? je rigole, un peu plus tard.
- Non, je te dis, grommelle Kohort. C'est ta branche qui a eu un effet boomerang.
- Bien sûr ! ricane Luff. Laisse-moi juste te rappeler que tu es les plus expérimenté d'entre nous et que tu fais à peine ma taille, c'est à dire pas beaucoup.
- Quelle taille, exactement ? demande Noémie, curieuse.
- Un mètre, répond Luff, si souriant qu'on le croirait fier de lui.
- Ouah, tu fais la moitié de ma taille ! je remarque.
- Oui, bon, d'accord, j'ai fait une erreur d'inattention, admet l'entraîneur, mais on ne va pas en faire un plat, tout de même ?
- Tu rigoles ? s'exclame Luff. C'est bien la première fois que je te vois faire une erreur, mis à part quand tu as oublié que tu combattais aussi Noémie hier. Je vais m'en souvenir toute ma vie ! Oh là là, je ne vous remercierais jamais assez, vous les Wyrd !

Lucas écoute l'échange, souriant de toutes ses dents.

- Bon, fait Kohort, reprenant son sérieux. C'est pas tout ça, mais je crois que vous avez une expédition à préparer.
- Rooh, c'est bon, râle Luff. On a jusqu'à ce soir, à 18 heures.
- On peut lui donner un gage ? je propose.
- Hein ? fait Kohort.
- Oh oui ! font Noémie et Luff à l'unisson.
- Attends... ça y est, j'ai une idée ! Tu ne touches plus à une arme d'une quelconque manière pendant une semaine, propose Luff.
- Oh non, trop horrible, objecte Noémie. Moi je propose qu'il fasse partie de l'expédition !
- Hein ? Quoi ? Non mais vous êtes au courant j'ai jamais accepté d'avoir un gage ? intervient Kohort.
- Trop bonne idée Noémie ! je fais.
- Je suis pour, acquiesce Luff.
- Eh oh, j'ai un club à tenir, moi !
- Écoute-moi bien, le nain, fait Luff. Sans les Wyrd, tu es plus fort que tout ton club réuni. Alors, ça sert à quoi, toute cette force, si elle sert à entraîner des gens qui se feront certainement tuer rapidement ? Toi, tu pourrais tuer des centaines d'ennemis ! Eux, à peine quelques uns. Bon sang, Kohort, mais regarde-toi ! Tu comptes vraiment devenir le vieux sage millénaire, si tu ne peux même plus te vanter d'avoir de l'expérience ? Moi, si j'étais à ta place, non seulement je prendrais des vacances, mais en plus je partirais en guerre ! Mets ta force au service de ta nation ! On a tellement besoin de toi !

Kohort grommelle. Malgré tout, son ego semble avoir cicatrisé, car il ne renchérit pas.

- À quelle heure tu as dit qu'on partait, déjà ?
- À 18 heures ! crie presque Luff, tout heureux. Mais il faut qu'on aille parler avec le chef de caravane dès maintenant.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous nous rendons au nord de la ville, où se prépare déjà une dizaine de caravanes. Luff s'approche d'un Homme brun, à la barbe bien fournie et aux cheveux bien coiffés, excepté un petit épi qui se dresse au-dessus de son front. L’homme ne remarque pas le chef d’expédition, assis à son comptoir, le nez plongé dans ses dossiers. L'ombre de Luff n'atteint pas la table, aussi doit-il toussoter pour se faire remarquer. L'Homme lève donc la tête et dévisage Luff.

- Ah, vous devez être Luff ? demande-t-il.
- Oui, c'est moi. Et voici mon équipe. Paul, épéiste, Noémie, archère et lanceuse de couteaux, Kohort, qui combat au bâton, à l'épée ou au marteau, et Ea, qui combat au bâton, à la dague et à la fronde.

L’homme fait un signe de tête à Kohort, puis à Paul, mais s’arrête sur Noémie.

- Fait-elle partie de l’expédition ? demande-t-il, son sourire figé sur son visage.
- Oui, pourquoi ? Répond Luff.
- Parce que je nai jamais autorisé une femme à faire partie d’une expédition. Et je ne vois pas pourquoi je commencerais aujourd’hui.
- Peut-être pour ça, répond Noémie en bougeant imperceptiblement.

Quand je me retourne vers l’homme, il est figé et louche sur une petite mèche de cheveux tombés sur son nez. Il lève la tête et se cogne dans le couteau noir qui a coupé son épi. Il reste silencieux un instant, puis admet :

- Tu me plais bien. Va pour cette fois.

Il lui adresse un léger signe de la tête en lui rendant son couteau et se tourne vers moi. Tout sourire disparaît. Il me dévisage si longtemps que j'en ait des fourmis dans la queue. Quand son regard se reporte sur Luff, j'espère qu'il ne va finalement faire aucun commentaire. Espoir vain, évidemment.

- Que fait une... une... une tieffeline dans vos rangs, monsieur Luff ?
- Elle vient combattre avec nous, répond Luff du tac-au-tac.
- Et si je refuse qu'elle prenne part au voyage ?
- Alors, je refuse de prendre part au voyage.
- Pardon ? s'étrangle le chef de caravane. Mais...
- Mais rien du tout. C'est soit l'équipe, soit personne. Vous croyez vraiment qu'on a l'air très impressionnant, avec deux personnes de un mètre et deux d'un et trois quarts ? Ea en fait limite deux et demi ! Et puis justement, les tieffelins font peur, ça en dissuadera beaucoup d'approcher, vous ne pensez pas ?
- Non, je ne céderais pas. Une femme, passe encore, mais pas de démon dans ma caravane.

L'homme croise les bras pour signifier sa décision. Alors que Luff va répliquer, Paul s'approche du voyageur et, le regardant de toute sa hauteur, dégaine de quelques centimètres son épée. Paul fait au moins trente centimètres de plus que lui, mais l'intendant ne se démonte pas. Alors Paul rengaine, recule de quelques pas et commence à s'en aller.

- Attendez ! D'accord. Nous partons.

Paul s'arrête, se retourne lentement, et fait son plus beau sourire.

Quelques heures plus tard, alors que nous contemplons le soleil d'hiver se coucher, je réalise ce que nous sommes en train de faire.

Nous partons.